Une vidéo virale dénonçant l’exploitation des employés gabonais au Radisson Blu Libreville a ravivé les tensions autour de la gestion de cet hôtel. Si les autorités évoquent un contenu ancien, les faits décriés semblent, eux, toujours d’actualité. Décryptage d’une situation incompréhensible à l’heure de la restauration de la dignité du Gabonais.
Tout est parti d’une vidéo choc devenue virale sur les réseaux sociaux au début du mois de juin. Dans ce contenu saisissant, le Radisson Blu de Libreville est décrit comme « l’antre de l’esclavage moderne« , où les travailleurs gabonais subiraient brimades et inégalités au profit d’expatriés surprotégés. Ce témoignage visuel, relayé par un reportage télévisé, a provoqué une onde de choc dans l’opinion publique.
Une vidéo choc relance la polémique : l’État convoque la direction du Radisson Blu
Face à l’ampleur de la polémique, le ministre du Tourisme durable et de l’artisanat, Pascal Ogowe Siffon, a convoqué le 10 juin 2025 Denis Dernault, directeur général de l’établissement, afin d’obtenir des clarifications. Ce dernier a rapidement désamorcé les soupçons en précisant que la vidéo en question date de 2023, et qu’aucun mouvement de grève ou de tension n’a été récemment enregistré au sein de l’hôtel.
Denis Dernault a également affirmé sa pleine coopération avec l’audit en cours, initié par le ministère et les services compétents. « Nous sommes entièrement transparents », a insisté un représentant de la direction, qui a tenu à rassurer de la volonté du Radisson Blu de faire toute la lumière sur sa gestion interne. Objectif affiché : restaurer la confiance et démontrer la conformité de l’établissement avec la réglementation nationale.
Cette position officielle vise à calmer les esprits, mais sur le terrain, les interrogations persistent. Car si la vidéo est ancienne, les dysfonctionnements dénoncés n’auraient pas disparu.
Une réalité sociale qui persiste malgré les années
Le reportage de 2023, dont les extraits ont récemment refait surface, brossait un portrait accablant de la gestion interne du Radisson Blu. Ce n’est pas seulement la date de diffusion qui interroge, mais bien la résonance toujours actuelle de ses accusations.
L’établissement y était présenté comme un « État dans l’État », dominé par une direction exclusivement étrangère : un directeur français surnommé par certains employés « Satan Petit Cœur », un directeur administratif tunisien, un chef technique libanais et même un cuisinier ne parlant ni français, ni langue locale. Aucune présence gabonaise à la tête, une situation vécue comme une insulte à la souveraineté nationale.
Le document évoquait aussi des dépenses douteuses : un forage facturé à plus de 80 millions de FCFA mais inutilisable, des contrats d’entretien de climatisation surfacturés, et la présence d’un bureau de change clandestin au cœur de l’hôtel.
Mais c’est sur le plan social que la fracture est la plus criante. Les expatriés y bénéficieraient de conditions privilégiées : logement, scolarité des enfants à l’étranger, primes faramineuses, billets d’avion pour toute la famille, pendant que les employés gabonais peinent à obtenir une couverture santé ou un traitement équitable.
Le cas du consultant malien Moussa Sidibé, employé sans contrat, ni titre de séjour, pendant quatre ans, est cité comme symbole de l’impunité.
Malgré les tentatives de réquisition de l’hôtel par l’État, « les mêmes réseaux » seraient toujours aux commandes. La vidéo dénonce le silence complice d’une partie de l’administration, incapable – ou refusant – de s’attaquer au système de prédation en place.
Un symbole national mis à l’épreuve
Deux ans après ces révélations, la vidéo redevient virale… et rien ne semble avoir vraiment changé. Le personnel local continue de dénoncer l’arrogance d’une direction qui se croit au-dessus des lois.
L’affaire Radisson Blu dépasse désormais le cadre hôtelier. Elle cristallise les enjeux de souveraineté, de justice sociale et de gouvernance dans un pays en quête de redressement.
Si le gouvernement veut prouver qu’il œuvre réellement pour le respect du droit et la valorisation des compétences locales, l’assainissement du Radisson Blu pourrait bien être un test décisif. Car un État qui ne protège pas ses travailleurs, c’est un État qui abandonne sa souveraineté.
Contactée par nos soins depuis vendredi dernier, la direction générale n’a pas – au moment où nous mettions sous presse – daigné répondre à notre demande d’interview pour donner sa version des faits. Toutefois, nos colonnes restent ouvertes au cas où elle souhaiterait s’exprimer.