L’homme n’est rien dans le néant. Certains vivent tout simplement, peu existent pour servir les autres. Idriss Ngari avait choisi la deuxième option. Mardi 27 mai 2025, au Maroc, le Gabon a perdu l’un de ses fils les plus engagés, le général « Tonnerre ». Un militaire de rigueur, un homme de vérité, un bâtisseur de destinées, une légende vivante qui entre désormais dans l’éternité. Alors qu’il sera enterré ce samedi à Ngouoni, sa terre natale, ses obsèques aujourd’hui ont fait salle comble. Symbole, de son vivant, d’un homme au service de son prochain. Parcours d’un militaire exceptionnel.
Né le 2 avril 1946 à Ngouoni, dans la province du Haut-Ogooué, Idriss Ngari fut bien plus qu’un homme d’État ou un militaire. Il fut l’incarnation même du service. Sa vie est une ode à la discipline, à l’honneur et à une fidélité inébranlable envers la République gabonaise.
Formé au sein des meilleures institutions militaires, il gravit, à une vitesse fulgurante, les échelons de l’armée jusqu’à devenir Chef d’état-major des Forces armées gabonaises entre 1984 et 1994. Ce poste, hautement stratégique, marquera le début d’un long et loyal compagnonnage avec l’État.
À partir de là, il entra de plain-pied dans la haute administration politique du pays. Le général occupa successivement des fonctions ministérielles de premier plan : ministre de la Défense nationale, ministre de l’Intérieur, ministre des Travaux publics, ministre des Transports, ministre du Tourisme, ministre de la Santé. Peu de Gabonais auront autant servi sous autant de gouvernements et dans autant de domaines névralgiques. Idriss Ngari, c’était la constance, la compétence, la loyauté.
Humainement, ceux qui l’ont côtoyé parlent d’un homme droit, franc, rigoureux, mais profondément bienveillant. Un soldat des institutions, un frère pour les siens, un père pour toute une génération de jeunes officiers et d’administrateurs qu’il a formés et accompagnés.
Ngouoni, le chef-d’œuvre d’un visionnaire
Mais au-delà des hautes sphères du pouvoir, c’est dans sa ville natale que le Général a imprimé sa plus forte empreinte. Ngouoni ne serait pas Ngouoni sans Idriss Ngari. Quartiers tracés avec précision, logements sociaux accessibles, voiries entretenues, hygiène urbaine exemplaire… Tout dans cette ville porte l’empreinte du bâtisseur qu’il fut.
Il ne s’est pas contenté de commander ; il a fédéré. Par l’association Tsoumou (Entente), il a su créer un écosystème de solidarité, de développement et d’ascension sociale pour les fils et filles de Ngouoni. Aujourd’hui, Tsoumou c’est une institution : hauts cadres, fonctionnaires, étudiants, entrepreneurs, chômeurs… tous trouvent en elle un pilier de l’espérance.
Qu’il s’agisse de promotion dans l’administration, d’obtention de bourses, d’insertion dans les forces de défense et de sécurité, ou de soutien social, Idriss Ngari a tissé une toile de sécurité, d’entraide et d’ambition pour sa communauté et au-delà. Il a rendu Ngouoni incontournable. Il a fait plus que construire une ville : il a façonné un peuple.
Il était un père protecteur pour tout le monde. A titre d’exemple, lorsque le 29 août 2014 Jeannot Kalima est placé en détention préventive à la prison centrale de Libreville, lui, Idriss Ngari pique une grande colère. Il menace, glisse une source digne de foi, avec vigueur de faire des révélations à « La Loupe », votre canard si son ancien directeur de cabinet n’est pas relaxé. Ce qui fut fait parce que le mis en cause n’avait rien à se reprocher mais il était simplement victime de la vendetta d’Ali Bongo contre ceux qui, même en coulisses, dénonçaient la mauvaise gouvernance du Gabon.
Un guerrier courageux, une voix libre
Certes, sa proximité familiale avec Omar Bongo Ondimba et son alliance matrimoniale avec la famille présidentielle (son mariage avec Ambroisine Olemi, sœur cadette de Patience Dabany) lui ont ouvert certaines portes. Mais la grandeur d’Idriss Ngari réside ailleurs : dans son courage à dire la vérité, même quand elle dérangeait.
Le 5 mai 2015, dans un hémicycle anesthésié par le silence complice, il osa. Deuxième Vice-président de l’Assemblée nationale, il dénonça sans ambages, la mauvaise gouvernance, les lenteurs administratives, les dérives budgétaires. Une prise de parole historique, à une époque où Ali Bongo Ondimba était au sommet de son autoritarisme, soutenu dans la bêtise par Ali Akbar Onanga Y’Obegue, gendre d’Idriss Ngari, à l’époque.
Le général refusa d’adoucir ses propos, malgré les pressions des obligés de l’enfant roi. Il tint bon. Il choisit ses mots – dans une autre intervention le lendemain – pour éviter la rupture, mais le message passa. Et l’histoire lui donna raison. Le 30 août 2023, grâce à l’action des militaires, le peuple mit fin à un régime décrié. Le courage du général, lui, était déjà gravé dans le marbre.
Un visionnaire au-delà du temps
On dit que les grands hommes pressentent l’Histoire. En 1990, lors des émeutes populaires, il fit déboulonner la statue d’Omar Bongo du Rond-point de la Démocratie pour la protéger… à Ngouoni. Un geste apparemment banal, mais hautement symbolique. Le pouvoir s’était replié chez lui.
Mieux encore, le général avait un protégé : Brice Clotaire Oligui Nguema. C’est lui qui le fit venir à Libreville, l’incorpora dans l’armée, l’envoya au Maroc, le plaça auprès d’Omar Bongo comme aide de camp. Aujourd’hui, ce même Brice Clotaire est président de la République gabonaise. Le mentor n’est plus, mais le disciple guide la nation. Visionnaire, oui. Prophétique, sans doute.
Le chant du souvenir : un hommage éternel
Idriss Ngari n’était pas parfait, nul ne l’est. Mais il était profondément utile. Il a aimé le Gabon avec une force rare. Il a servi son pays, construit sa ville, élevé les siens, façonné un état d’esprit à ses propres, affronté le mensonge. Il laisse un héritage colossal et un vide abyssal : des semences et non des cendres. Il appartient aux uns et aux autres de faire pousser l’amour, maintenir la cohésion dans le socle familial, faire prospérer ses œuvres…
Il va terriblement manquer à Ngouoni et au Gabon. Comme le dit Maximus Decimus Meridius, incarné par Russell Crowe dans Gladiator : « What we do in life echoes in eternity. »
(Ce que nous faisons dans la vie résonne dans l’éternité). Oui, les actions d’Idriss Ngari résonnent. Elles résonneront encore longtemps dans les cœurs, dans les mémoires, dans les murs mêmes de Ngouoni, cette ville qu’il a façonnée, pierre après pierre, rêve après rêve.
Reposez en paix, Général, Monsieur le Ministre, Honorable !
Le peuple vous salue.