Le silence devient assourdissant dans les temples maçonniques de Libreville. Un document signé par le Grand Maître Jacques Denis Tsanga, Gouverneur de la province du Haut-Ogooué, en date du 30 juin 2025, révèle une fracture inquiétante au cœur de l’obédience maçonnique gabonaise.
La sonnette d’alarme du Grand Maître
Dans une circulaire officielle référencée GLG/GS/088/FC/2025, la Grande Loge du Gabon tire la sonnette d’alarme. Le Grand Maître Jacques Denis Tsanga, figure de proue du paysage maçonnique national et haut dignitaire politique, dénonce un relâchement manifeste dans les engagements de ses frères.
Il constate avec regret que « de nombreux frères de notre Obédience ignorent ces obligations ou s’y conforment sélectivement », en référence à la participation aux tenues maçonniques et au règlement des cotisations. Deux comportements sont particulièrement épinglés : ceux qui assistent aux tenues sans s’acquitter des frais dus, et ceux qui croient que payer leurs cotisations suffit pour demeurer dans “l’égrégore maçonnique”, tout en désertant les loges.
Selon le Grand Maître, cette attitude nuit profondément à l’esprit et au bon fonctionnement de l’organisation. Il souligne que « de telles postures ne favorisent pas l’épanouissement individuel, voire collectif de notre Organisation ». La lettre évoque clairement le danger d’une dilution des engagements initiatiques et fraternels.
Des mesures radicales annoncées
Pour redresser la situation, des mesures strictes entreront en vigueur dès le 1er octobre 2025 : la suspension automatique de tout frère après quatre absences consécutives aux travaux de sa loge et la radiation de tout membre n’ayant fréquenté sa loge pendant un an complet, même en étant à jour de ses cotisations.
Toutefois, la circulaire précise que des empêchements majeurs – professionnels, familiaux ou de santé – seront examinés au cas par cas, dans un esprit de compréhension. Les Grands Maîtres Provinciaux sont formellement invités à appliquer ces directives dans leurs juridictions respectives.
Une organisation en perte de repères
La Grande Loge du Gabon ne fait pas seulement face à des absences physiques : elle semble également frappée par une crise identitaire. Derrière les constats disciplinaires, se cache une perte d’influence palpable.
Depuis la chute d’Ali Bongo Ondimba, ancien Grand Maître de la GLG et ex-président de la République, les francs-maçons ont perdu leur ancrage institutionnel. Nombreux sont ceux qui, autrefois solidement installés dans la haute administration, ont été évincés avec le changement de régime. La chute du pouvoir politique a laissé la GLG dans un flou stratégique, la privant de relais et de leviers d’action.
Les loges tentent aujourd’hui de se repositionner, mais le terrain est incertain. Certaines cherchent à nouer des alliances avec les figures montantes du nouveau régime, d’autres s’interrogent sur le sens profond de leur engagement initiatique.
Autres symptômes d’un malaise plus large
Plusieurs autres facteurs aggravent la situation, notamment une crise générationnelle où les jeunes initiés peinent à trouver leur place, freinés par une structure jugée trop hiérarchisée et peu ouverte ; une fatigue rituelle, illustrée par la lassitude des cérémonies répétitives et souvent perçues comme déconnectées des enjeux concrets de la société, et une perte de sacralité, certains observateurs pointant une instrumentalisation de la GLG pour des intérêts de réseau ou de positionnement personnel, au détriment de la vocation humaniste et spirituelle de la franc-maçonnerie.
Vers une refondation nécessaire ?
La circulaire du Grand Maître n’est pas qu’un rappel à l’ordre : elle incarne une tentative de secouer les fondations d’une obédience en pleine introspection. En s’attaquant aux absences et au désengagement, elle vise à retrouver l’essence même du serment maçonnique — celui de se construire et de construire ensemble.
La GLG se retrouve donc à un carrefour décisif : continuer dans l’errance ou redéfinir ses bases pour redevenir un espace de fraternité, de réflexion et d’influence constructive dans un Gabon en pleine mutation.