Ainsi pense Jocelyn Louis Ngoma, secrétaire général de la Fédération des travailleurs du Gabon (FETRAG), qui analyse la situation des déguerpissements des habitants du site situé derrière l’Assemblée nationale. Interrogé par la rédaction de Gabonclic.info, le syndicaliste jugé sévèrement l’ancien régime, qui aurait favorisé les installations anarchiques. Mais aussi les « fonctionnaires véreux », qui auraient détourné les indemnisations versées par l’Etat. Et, enfin, les personnes qui ont vendu les terrains sachant que le site était déjà réservé pour des projets étatiques.
Gabonclic.info. Monsieur Ngoma, quel est, selon vous, le véritable enjeu derrière la crise née des déguerpis du site de Derrière-l’Assemblée nationale ?
Jocelyn Louis Ngoma : ce qui se passe là-bas dépasse largement un simple conflit foncier. C’est le procès sans appel de cinquante ans de mauvaise gouvernance, de corruption et d’injustice héritées de l’ordre ancien. Derrière chaque parcelle, chaque délogement, il y a une part sombre : des fonctionnaires véreux qui ont fabriqué de faux squatteurs pour détourner des indemnisations ; des héritiers cupides qui ont vendu illégalement des terrains, alors que leurs parents avaient pourtant été indemnisés et, parfois, relogés en échange du terrain qu’ils occupaient. Et, au milieu de cela, des victimes réelles, notamment les locataires et les acquéreurs de bonne foi, piégées par une jurisprudence foncière confuse et manipulée.
Vous évoquez aussi la présence d’étrangers dans ce conflit ?
Oui, c’est une vérité trop souvent tue. Certains ressortissants étrangers ont acquis illégalement des terrains, via ces héritiers cupides. Ces expatriés ne sont pas marginalisés. Bien au contraire, ils affichent un mépris manifeste envers les Gabonais, y compris les plus hautes autorités, jusqu’au président de la République lui-même. Cette arrogance est une des causes profondes des tensions sociales.
Quel rôle l’État a-t-il joué dans cette situation ?
L’État n’est pas exempt de responsabilité. La SEEG (Société d’energie et d’eau du Gabon, ndr), entreprise publique, a alimenté en électricité et en eau ces habitations illégales. Des chefs de quartiers, rémunérés par l’État, ont été désignés dans cet environnement. Cette tolérance officielle révèle des dysfonctionnements structurels et une complicité tacite. Nous sommes tous responsables. C’est ensemble, l’État comme les citoyens, que nous devons trouver la solution.
Que faut-il faire pour rompre avec ce passé et avancer dans le développement ?
Il faut une rupture véritable, pas seulement symbolique. La rupture promise le 30 août 2023 est aujourd’hui menacée par ce lourd héritage. Redistribuer les postes selon des logiques géopolitiques ne suffira pas à apaiser les tensions sociales, ni à assurer un développement durable. Il faut le dire clairement : on ne construit pas un pays avec les émotions. Nous avons besoin d’une prise de conscience collective, d’équité, de vérité, de justice, et du respect sincère des valeurs républicaines. Pour réussir, une campagne massive d’éducation populaire et de communication claire doit être menée, afin que les populations comprennent les enjeux et deviennent des actrices engagées de la transition.
Quelle est votre position pour des éventuelles sanctions ?
Des sanctions exemplaires doivent frapper tous ceux qui ont détourné les fonds publics, créé des squatters fictifs ou qui ont exploité les populations à des fins personnelles. Il ne peut y avoir de justice sans responsabilité. L’ordre ancien doit être jugé, ses acteurs condamnés, pour que le Gabon tourne enfin la page de la mauvaise gouvernance.
C’est le seul moyen pour restaurer la confiance, préserver la rupture politique de l’ordre ancien, et éviter que la Cinquième République ne soit polluée avant même d’avoir tenu ses promesses.
Interview réalisée par Darrelle Mamba