Adoptée en Conseil des ministres, présidé par le chef de l’Etat Brice Clotaire Oligui Nguema, le 30 mai dernier, l’interdiction formelle d’exportation du manganèse à l’état brut vise à impulser une nouvelle dynamique en faveur de la transformation locale des matières premières. Avec en ligne de mire, l’augmentation de la valeur ajoutée nationale et l’amélioration concrète des retombées économiques pour les populations. Dans un contexte où la quête de souveraineté économique et la volonté de rompre avec un modèle extractiviste hérité du passé s’intensifient, cette mesure fait réagir les acteurs du secteur. Pour en comprendre les enjeux et les points de vue des travailleurs, la rédaction de Gabonclic.info a tendu le micro, le mercredi 11 juin 2025, à Joscelain Lebama, secrétaire général du Syndicat des travailleurs des industries minières et métallurgiques (STRIMM).
Gabonclic.info : Quelle est la lecture du STRIMM de cette nouvelle décision du président de la République ?
Joscelain Lebama : C’est une décision majeure que nous saluons avec enthousiasme. Il était grand temps de tourner la page d’un système de comptoir hérité de l’ère coloniale, où le Gabon se contentait de vendre sa richesse brute sans en récolter les fruits. Cela fait des décennies que nous voyons nos ressources partir à l’étranger pendant que les routes s’effondrent, que les écoles manquent de moyens et que nos hôpitaux peinent à fonctionner. Pendant ce temps, ce sont les grandes métropoles internationales qui prospèrent grâce à notre manganèse. C’est une aberration.
Nous disons stop à ce modèle injuste, inefficace et destructeur de talents locaux. Le STRIMM soutient sans réserve cette orientation politique courageuse portée par le Chef de l’État. Elle est non seulement salutaire, mais nécessaire.
Quelles peuvent être les effets immédiats pour les travailleurs ?
Il ne faut pas se leurrer : la mutation ne sera pas instantanée. Mais si elle est bien pilotée, cette réforme peut être le début d’un véritable redressement industriel. Nous saluons la décision d’instaurer une période transitoire de trois ans, qui laisse le temps aux industriels de s’adapter et de bâtir des unités de transformation sur place. Mais que cela soit bien clair : cette période ne doit pas servir de prétexte pour prolonger l’exportation du minerai brut. Nous attendons un ralentissement progressif mais ferme de l’exportation à l’état brut, dès maintenant. C’est une exigence de justice économique, mais aussi de cohérence politique.

Qu’attendez-vous concrètement des opérateurs industriels ?
Nous exigeons un alignement sans ambiguïté avec la vision exprimée par le Chef de l’État. Fini les manœuvres dilatoires, les justifications techniques douteuses ou les jeux d’influence. Soit on accompagne cette nouvelle dynamique, soit on laisse la place à ceux qui y croient vraiment. Les entreprises qui se disent « partenaires du Gabon » doivent aujourd’hui le prouver par des actes. L’heure est à la responsabilité industrielle. Il faut produire autrement, ici et pour le Gabon.
Le STRIMM a-t-il engagé des démarches officielles ?
Absolument. Nous allons très prochainement saisir les autorités compétentes pour réclamer la création d’un comité de suivi indépendant, où siégeraient les syndicats, les experts du secteur et les représentants de la société civile. Il est indispensable d’instaurer un cadre de veille rigoureux. La parole présidentielle doit se traduire en une feuille de route concrète, avec des échéances précises, des engagements chiffrés et des sanctions à la clé pour les réfractaires. Il ne s’agit pas d’un simple effet d’annonce. C’est une bascule historique.
Et sur le plan politique, cette mesure pourrait-elle engendrer des tensions ?
À mon avis, non. Les Gabonaises et les Gabonais devraient accompagner le gouvernement dans cette décision, et les partenaires historiques doivent comprendre que le Gabon est un pays souverain. Il n’y a pas de raison qu’il y ait une quelconque ambivalence ou volonté de freiner cette révolution industrielle. Nous sommes restés trop longtemps sous une emprise coloniale. Il est temps que le Gabon sorte de ce système. À mon sens, il n’y aura pas de répercussions politiques.
Un mot à l’endroit des travailleurs et des populations ?
D’abord, un mot aux travailleurs. Il faut qu’ils s’engagent pleinement dans ce tournant historique. Le Gabon va, pour la première fois, mettre en place un système de transformation locale. Il faut que nous soyons disponibles, ouverts à la formation et prêts à saisir toutes les opportunités qui seront offertes. Aux populations gabonaises, je demande de saluer cette décision historique et d’accompagner le Chef de l’État dans cette démarche souveraine.
Actualité oblige, quelle analyse faites-vous du déguerpissement des populations de Plaine Orety et derrière l’Assemblée nationale ?
Nous devons arrêter d’être démagogues. Les Gabonais ont longtemps réclamé un changement. Nous avons critiqué l’ancien régime et salué l’arrivée des militaires au pouvoir, aujourd’hui au service de la 5ᵉ République. Celle-ci veut répondre aux aspirations des populations à travers des réformes. Oui, les images diffusées ne sont pas belles. Nous avons tous des proches qui habitaient ces zones et cela ne fait plaisir à personne de les voir à la belle étoile. Mais la vraie question est : une indemnisation a-t-elle été versée à ces populations ? Certains affirment qu’ils n’ont rien reçu et que leurs logements ont été détruits. Il appartient au gouvernement de faire la lumière, mais avec le concours des citoyens. Il faudrait que les personnes réellement indemnisées le reconnaissent honnêtement et que celles qui ne l’ont pas été s’organisent, dressent une liste et la transmettent aux autorités pour permettre un dénouement équitable. On ne peut pas vouloir un changement et s’y opposer en même temps. Des projets émergent, des infrastructures sortent de terre. Il faut faire confiance au gouvernement. Je demande à ce dernier de se rapprocher des populations à travers un comité dédié, afin d’établir les responsabilités : qui a fait quoi ? Qui n’a pas fait ce qu’il fallait ? Si de l’argent a été débloqué, où est-il passé ? Il faut sortir de l’esprit de « copains et coquins », pour reprendre les mots du Président de la République. Que les fautifs rendent des comptes ou soient traduits en justice.
Certains fustigent non pas le projet, mais la manière dont les évènements se sont déroulés, quel est votre avis ?
Certains vont peut-être me critiquer, mais nous connaissons nos habitudes au Gabon. Beaucoup construisent sans titre foncier. Le cadastre ou l’urbanisme ordonne l’arrêt des travaux, mais ces personnes continuent, s’installent, puis crient au scandale lorsque les démolitions arrivent. Ce n’est pas sérieux.
Je le répète : j’ai des proches qui habitaient ces lieux. Ce ne sont pas des scènes faciles à regarder, mais il faut établir les responsabilités. Pourquoi une personne indemnisée, à qui une nouvelle parcelle a été attribuée, continue-t-elle de se plaindre ? Soyons de bonne foi.
Il est vrai que certains n’auraient pas été indemnisés ou n’étaient pas concernés mais ont été touchés. Le gouvernement doit assumer et accompagner ces cas spécifiques. L’acte est posé. On ne peut pas revenir en arrière. Il faut désormais dialoguer et avancer ensemble.
Des responsables de ce projet existent, ils sont vivants. Je ne vais pas les citer, mais le Président et son gouvernement savent de qui il s’agit. Ils doivent prendre les décisions qui s’imposent.
Je vous remercie.