Chaque jour, des dizaines de vendeurs prennent d’assaut les trottoirs de la capitale. Ce qui semble être une simple débrouillardise cache, en réalité, un désordre profond, aux conséquences économiques, sanitaires et sécuritaires lourdes. Jusqu’où laisserons-nous la ville s’enfoncer dans cette anarchie tolérée ?
Dans les rues de Libreville, la scène est devenue familière. Aux feux tricolores, aux abords des marchés, devant les écoles ou les administrations, une armée de vendeurs informels déploie quotidiennement ses étals de fortune. Fruits, vêtements, grillades, médicaments, accessoires en tout genre : tout se vend, partout, à toute heure. Si certains y voient une forme d’ingéniosité face à la précarité, la réalité est bien plus alarmante. La vente à la sauvette est en train de transformer la capitale en un espace urbain désorganisé, insalubre, et potentiellement dangereux.
Derrière cette économie parallèle se cache un désordre profond, qui affecte tous les pans de la vie citadine. Les trottoirs sont envahis, les carrefours encombrés, les axes saturés. Piétons et automobilistes cohabitent dans un capharnaüm permanent, où les risques d’accidents sont accrus et où la ville peine à respirer. Libreville perd peu à peu sa fluidité, son esthétique, et son ordre.
Au-delà de la gêne visuelle et logistique, la vente à la sauvette représente également un gouffre économique. Ces activités échappent à toute fiscalité, privant l’État de ressources précieuses. Elles concurrencent, de manière déloyale, les commerçants légalement installés qui, eux, paient loyers, taxes et charges sociales. À terme, ce déséquilibre fragilise l’économie formelle, décourage l’investissement et entretient une spirale d’informalité sans issue.
Autre danger, plus sournois encore : celui qui touche à la santé publique. De nombreux produits vendus à la sauvette, notamment alimentaires et médicaux, échappent à tout contrôle. Jus artisanaux exposés en plein soleil, grillades manipulées sans hygiène, médicaments stockés dans des sacs à même le sol, sachets d’eau aux origines douteuses : le risque d’intoxication, d’infection ou de consommation de produits contrefaits est réel. Le consommateur, souvent mal informé, paie le prix fort de cette anarchie.
Dans cette jungle commerciale improvisée, l’insécurité rôde. Les lieux de vente sauvage deviennent parfois des zones de non-droit, où les vols à la tire, les agressions et les trafics divers se fondent dans la foule. Les forces de l’ordre interviennent, mais souvent dans un climat de tension et de confrontation, faute de solutions structurelles à proposer.
Une détresse sociale et un appel à l’action
Plus grave encore, cette économie de rue dissimule parfois une forme d’exploitation humaine. De nombreuses femmes, des mineurs, des personnes âgées ou handicapées y sont poussés par la nécessité, sans protection sociale, sans avenir tracé. Sous le vernis de la débrouillardise se cache souvent une grande détresse.
Face à cette situation, la réponse ne peut se limiter à la répression. Il ne s’agit pas de criminaliser la pauvreté, mais de proposer des alternatives. Cela passe par la création d’espaces encadrés, de marchés de proximité, de formations à l’entrepreneuriat, de programmes de microcrédit. L’intégration progressive des vendeurs dans le circuit formel est non seulement possible, mais indispensable.
La ville de Libreville ne peut plus continuer à tolérer une occupation anarchique de son espace public. Il en va de sa santé, de sa sécurité, de sa dignité. Réorganiser les rues, ce n’est pas faire la guerre aux petits vendeurs, c’est reconstruire un cadre de vie digne pour tous, dans une dynamique de justice, de développement et de respect des règles.
Dans ce contexte, la nouvelle ministre de l’Entrepreneuriat, du Commerce et des PME, Gninga Chaning Zenaba, est appelée à jouer un rôle déterminant. En tant que responsable des politiques commerciales et du soutien aux petites entreprises, elle doit mettre en place des solutions concrètes pour encadrer et intégrer ces activités informelles. Cela inclut la création de marchés structurés, la régulation des activités commerciales, et le soutien aux micro-entrepreneurs pour leur transition vers le secteur formel.
Libreville mérite mieux que d’être un marché à ciel ouvert généralisé. Elle mérite une vision. Une volonté. Et une action déterminée.