Le 31 mai et le 1er juin 2025, la loi n°20/63 du 31 mai 1963 portant interdiction de la dot fête trois anniversaires : l’anniversaire de sa promulgation (31 mai), l’anniversaire de son entrée en vigueur (1er juin) et l’anniversaire de la séparation juridique du mariage et de la dot dans le mariage traditionnel. Elle élève la dot au rang des infractions, n’interdit pas le mariage traditionnel, sépare le mariage et la dot. Cette séparation constitue un choc de culture. Elle est la manifestation de la méconnaissance du déroulé du mariage traditionnel.
Ainsi, elle est devenue ineffective car, elle ne s’est pas attachée les valeurs profondes du peuple gabonais. Pour y remédier, il importe de réhabiliter légalement la dot.
L’élévation de la dot au rang des infractions
La loi n°20/63 portant interdiction de la dot élève au rang de l’infraction l’exigence, l’acceptation, la remise ou la promesse de la dot (art. 3). Elle est punie d’un emprisonnement de trois (3) mois à un (1) an et d’une amende de 36 000 à 360 000 francs CFA, ou de l’une de ces deux peines seulement. Cette infraction n’est pas reprise par les lois n°21/63 du 31 mai 1963, n°042/2018 du 5 juillet 2019 et n°006/2020 du 30 juin 2020 portant Code pénal de la République gabonaise. L’infraction relative à la dot est donc contenue dans une loi pénale spéciale.
Depuis son entrée en vigueur, soit le 1er juin 1963, la loi n°20/63 interdit la pratique de la dot. Cette dernière est entendue comme la remise à l’occasion du mariage, par le futur conjoint, à la famille de la future conjointe de sommes d’argent ou d’objets de valeur (art. 1er) ou usuels reconnus pour leur valeur symbolique. La dot n’est pas apportée par la conjointe au conjoint.
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La future mariée, parée de tradition, incarne l’élégance et le respect des coutumes.
L’autorisation du mariage traditionnel
La loi n°20/63 prive le mariage traditionnel des effets légaux (article 4). Par conséquent, les conjoints ne peuvent être qualifiés d’époux ou de mari et femme (article 4). Elle n’interdit pas le mariage traditionnel. Dans cet esprit, le Code pénal de 1963 ne réprime que le mariage traditionnel d’une fille non consentante ou âgée de moins de quinze ans (article 264). Mais, en exigeant le consentement des parents dans le mariage civil des mineurs âgés de dix-huit (18) ans à vingt et un (21) ans, le Code civil gabonais paraît prendre en considération la dimension coutumière du mariage (art. 205 et 206).
En effet, les père et mère, le père ou la mère et, à défaut de ceux-ci, le tuteur, le conseil de tutelle ou les aïeuls ou aïeules les plus proches dans chaque ligne, ne peuvent donner leur consentement en l’absence de la célébration du mariage traditionnel. Dans le même sens, en consacrant l’union libre, il tient compte du mariage traditionnel.
En effet, l’union libre est comprise comme « Le fait, pour un homme et une femme, de vivre ensemble dans la même maison comme mari et femme, sans avoir contracté mariage (mariage légal ou civil) l’un avec l’autre » (article 377, Code civil). Ils sont considérés par leurs familles et leurs voisins comme les gens mariés (article 378, Code civil), même si la famille du conjoint n’a pas encore versé la dot. Ils le sont à la suite du mariage traditionnel avec ou sans la dot. A défaut du versement de la dot, l’union libre ne crée aucun droit de succession entre les conjoints.
La séparation du mariage et de la dot
Depuis son entrée en vigueur, soit le 1er juin 1963, la loi n°20/63 sépare les étapes du mariage traditionnel : le mariage et la dot ou la dot et le mariage. En autorisant le mariage et en interdisant la dot, la loi n°20/63 pose la problématique de la célébration du mariage traditionnel sans la dot. En interdisant la dot, elle assimile le mariage traditionnel à un contrat de mariage entre deux personnes de sexe opposé, une de sexe féminin et l’autre de sexe masculin. Ce qui fait dire que le mariage traditionnel est interdit. En effet, sans la dot, le mariage traditionnel n’a aucune valeur sociale.
La reconnaissance légale de la dot pourrait aboutir à la célébration simultanée des mariages traditionnel et civil. Dans cette approche, en décembre 2020, l’Assemblée nationale du Gabon, en amendant la proposition de loi du sénateur Ernest Ndassikoula, avait opté pour la reconnaissance légale de la pratique de la dot dans le déroulé du mariage traditionnel, et le plafonnement de son montant maximal, afin de stimuler le mariage traditionnel.
Mais la proposition de loi n’a pas connu une suite favorable. Une énième fois, l’espoir de la suppression de l’article 1er de la loi, objet des présentes observations, s’est éteint.
Lorsque la cérémonie de célébration du mariage traditionnel précède celle du mariage civil, la dot est une condition de fond du mariage civil. Ainsi, le mariage civil est une formalité. Dans ce contexte, l’état civil sert à transcrire le mariage traditionnel.
En revanche, lorsque le mariage traditionnel a lieu après la célébration du mariage civil, le non-versement de la dot n’est pas une cause de nullité dudit mariage. Toutefois, compte tenu de la diversité des cultures, la loi n’organiserait pas la célébration du mariage traditionnel. Elle en transposerait les effets juridiques du mariage civil.
La séparation du mariage et de la dot dans le mariage traditionnel paraît contraire au droit traditionnel. Elle est à l’origine du choc de cultures ou de civilisations. Ce choc semble résulter de l’ignorance du déroulé de la célébration du mariage traditionnel. Entre le mariage et la dot, laquelle des étapes est préalable à l’autre ?
Le dérouler du mariage traditionnel
Il se pratique deux hypothèses dans le déroulé du mariage traditionnel. Dans l’une, le dérouler de la remise de la dot est préalable à celui de l’acte de mariage, l’interdiction de la dot équivaut à celle du mariage. En effet, à défaut de l’acceptation de la dot, même symbolique, la future conjointe n’est pas autorisée à sortir. Dans ce cas, l’acceptation de la dot vaut alliance entre deux familles ou au mariage.
En d’autres termes, à défaut d’une vie commune préalable, la famille de la future conjointe peut présenter une future conjointe autre que celle convoitée par la famille du futur conjoint ou une fille à naître. La dot est une compensation matrimoniale. La sortie de la future conjointe et son acceptation de la dot valident l’alliance et valent conclusion du mariage.
Ainsi, l’interdiction de la dot équivaut à l’interdiction de l’alliance et au mariage traditionnel, qui est une union entre deux personnes de sexes opposés, célébrée par deux familles.
Dans l’autre, le dérouler du mariage, en présence de la future conjointe, est préalable à celui de la dot. Le mariage est conclu après l’acceptation par un parent de la future conjointe d’un objet le symbolisant. Cette acceptation scelle l’alliance entre les deux familles. Par conséquent, l’interdiction de la dot n’équivaut pas à celle du mariage. Toutefois, la famille de la future conjointe aura une créance sur celle du futur conjoint. Tant qu’elle ne s’est pas encore acquittée de cette créance, le conjoint n’est pas reconnu comme gendre de la famille de la désormais conjointe.
Logiquement, en cas de prédécès du conjoint, la conjointe n’a pas droit à la succession, car l’alliance symbolisée par le dépôt de la femme dans la famille du conjoint, signifiant la rupture des liens avec la famille génitale, est inexistante. En d’autres termes, le mariage n’est pas parfait.
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Offrandes de la dot : vivres, boissons, tissus et objets symboliques réunis pour honorer la famille de la future épouse.
Dans les deux hypothèses, la dot est la clé de voûte du mariage traditionnel. Elle est indissociable du mariage. Elle est la preuve du mariage. Elle permet l’établissement d’une union entre deux familles. A défaut de la dot, le conjoint, même s’il est le géniteur des enfants issus de la communauté de vie, n’a pas créé une famille.
En effet, traditionnellement, la famille est considérée comme un groupement de personnes physiques unies par le mariage dont les enfants sont légitimés par le mariage ou nés après le mariage. D’où la pratique du versement d’une somme d’argent pour les enfants. Cette pratique établit la filiation paternelle.
Ainsi, la dot est l’acte par lequel la famille du conjoint prend la conjointe et ses enfants. C’est pourquoi, le mari ou le père perd le droit de décider sur la concubine ou les enfants, en cas de son remboursement. Elle crée le droit de succession entre le conjoint, la conjointe et les enfants. Elle permet aux deux familles de sceller l’alliance
L’échec de l’exigence d’imposer le mariage civil
La pratique courante de la dot est culturelle. Elle est immuable. Elle est la volonté générale du peuple gabonais. Mais elle ne vaut pas abrogation de l’article 1er de la loi n°20/63 du 31 mai 1963. Cela signifie, en application du principe du parallélisme des formes, que la loi n’est pas abrogée par désuétude. L’abrogation doit être expresse. La loi est seulement ineffective. Elle est la manifestation de l’échec de l’exigence de la colonisation de la culture.
La permanence de l’article 1er de la loi n°20/63 empêche uniquement la réclamation du versement ou du remboursement de la dot devant une juridiction étatique compétente. Elle ne fait pas disparaître la pratique de la dot dans le mariage traditionnel.
L’attachement aux valeurs profondes
La loi n°20/63, promulguée le 31 mai 1963, entrée en vigueur le 1er juin 1963, pourrait être considérée comme loi idéale. Elle vise l’instauration d’une société dans laquelle le mariage traditionnel sera célébré sans la dot. Mais, adoptée après le 17 août 1960, elle a privilégié les citoyens français de statut civil par rapport à ceux de statut coutumier. Or, les règles de droit sont l’expression d’une culture. Elles concilient la société avec ses valeurs sociales profondes et traditionnelles. C’est la raison pour laquelle le préambule de la Constitution du 19 décembre 2024 proclame l’attachement du peuple gabonais à ses valeurs sociales profondes et traditionnelles, à son patrimoine culturel, matériel et spirituel.
La réhabilitation de la dot
La dot est l’une de ces valeurs et patrimoine que le peuple gabonais doit préserver et respecter. La loi n’a jamais changé, à elle seule, les comportements sociaux. Elle prend en compte les réalités socioculturelles.
Ainsi, dans l’espace francophone de l’Afrique, en Côte-d’Ivoire, la loi interdisant la dot est abolie (2019). Au Sénégal, la loi interdit les dépenses excessives.
La séparation juridique du mariage et de la dot dans le mariage traditionnel continuera, car le culturel ou le droit traditionnel et le droit légal s’influencent. Mais la controverse porterait sur le coût de la dot intégrant les sommes d’argent et objet de valeur d’avant et d’après dot.
Sur ce, « Joyeux anniversaires à la loi n°20/1963 du 31 mai 1963, entrée en vigueur le 1er juin 1963 ».
François Ndjamono, Docteur en droit privé.