La montée du sentiment anti-français en Afrique francophone, comme dernièrement au Tchad et au Sénégal, illustre une fracture croissante avec l’Hexagone. À N’Djamena, ainsi que cela a été le cas dans les pays qui ont tourné le dos à l’ancienne puissance coloniale, les manifestations en faveur du départ de l’armée française du Tchad traduisent un désir accru de réappropriation de la souveraineté nationale et une volonté de rompre avec des relations jugées inégalitaires.
Ce ressentiment s’est intensifié ces dernières années, alimenté par divers facteurs. Les accords militaires, souvent perçus comme des forces d’occupation dans les pays africains, qui vivent des situations socio-économiques difficiles, alors que leurs sol et sous-sol regorgent d’immenses richesses en ressources naturelles. Encore plus, lorsque ces forces armées justifient leur présence pour une garantie de la sécurité des intérêts français sur le continent. La gestion opaque de ces ressources naturelles dans la zone francophone d’Afrique, dont la France a longtemps conservé un monopole d’exploitation, viennent confirmer une occupation néocolonialiste.
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Paris est aussi accusée d’un manque d’investissement significatif en faveur du le développement socio-économique des pays où elle maintient des bases militaires. L’ancienne maire de Port-Gentil, Pierre-Louis Agondjo Okawé s’en était plaint en son temps, en relevant que sa ville, même avec son statut de ville pétrolière, ne bénéficiait d’aucun apport de la part des compagnies qui y sont installées. Une situation qui tranche nettement avec le développement observé dans les pays anglophones ou lusophones, où les systèmes sociaux sont mieux structurés, renforçant un sentiment d’injustice et de marginalisation dans les nations francophones.
Le cas du Tchad est particulièrement sensible. En tant que pivot de la lutte contre le terrorisme au Sahel, le départ de l’armée française pourrait entraîner un vide sécuritaire inquiétant. Cependant, pour de nombreux Tchadiens, cette décision est avant tout un acte d’affirmation de leur souveraineté nationale.
Les mouvements actuels au Tchad pour le départ des bases françaises du pays font écho à ceux survenus dans les pays du Sahel, regroupés dans une confédération, où des manifestations populaires avaient également exigé le retrait des troupes françaises. Ces expressions anti-françaises traduisent une profonde remise en question des relations de la France-Afrique, accusées, à tort ou à raison, du délitement socio-économique observés dans l’ancien pré-carré français.
Depuis son avènement à l’Elysée, Emmanuel Macron, comme ses deux prédécesseurs (Nicolas Sarkozy et François Hollande), avait déclaré la fin de la France-Afrique, réclamée par la classe politique dans plusieurs pays d’Afrique francophone. Mais la question des bases militaires, très délicate, a toujours été escamotée, offrant à ces bases un sentiment de force d’occupation. Aujourd’hui, la France devrait prendre la décision cruciale de retirer ses bases de tous les pays africains, pour ne pas avoir l’amère perception d’être chassée de ses anciennes colonies.
Après le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Sénégal et le Tchad, qu’en sera-t-il des bases de Côte d’Ivoire, du Gabon, de Djibouti et aux Comores ? Ce dernier pays a le malheur d’être situé en un lieu hautement stratégique. C’est pour cela qu’en pleine guerre froide, la France a tenu à garder Mayotte après la décolonisation des Comores, en 1975, avec le projet d’y implanter une base militaire navale dotée d’un port en eau profonde. L’armée française est aussi accusée de favoriser des mouvements indépendantistes, notamment dans le Sahel, pour avoir un regard sur cette zone très riche en gaz et en ressources minières.
Aujourd’hui, Paris doit prendre la mesure de l’évolution de la politique africaine et adopter des mesures conséquentes. Sinon, les pays africains, naguère accrochés à la mamelle nourricière de l’Hexagone, pourraient aller voir ailleurs.