Le mois d’octobre, dédié mondialement à la lutte contre les cancers féminins, révèle au Gabon un constat amer : celui d’une gabegie assumée où les dépenses pharaoniques pour la sensibilisation et les cérémonies relèguent au second plan la prise en charge des patientes.
Tandis que les administrations parent leurs édifices de décorations coûtant plusieurs millions de francs et multiplient les activités récréatives, les malades sont confrontées à une situation de plus en plus critique, notamment en raison des défaillances de la Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale (CNAMGS).
Le vertige des dépenses inutiles
Chaque année, Octobre rose est célébré avec faste au Gabon, comme le soulignent plusieurs observateurs sur les réseaux sociaux, mais sans bilan lucide de son impact réel. Au nom de cette lutte noble, des sommes astronomiques sont décaissées, donnant « le vertige ». L’essentiel des fonds semble s’évaporer dans l’image et la communication.
Dès le début du mois, les sièges des ministères se parent des couleurs d’Octobre rose, rivalisant d’ingéniosité décorative. « L’année dernière, notre prestataire nous a pris plus de 5 millions pour la décoration de tout l’immeuble », confie un agent en service dans un ministère stratégique. Ces dépenses, jugées excessives, contrastent cruellement avec le manque criant de moyens dans les structures de soins.
Les zones rurales sont inscrites sur la liste des oubliées, les femmes ne pouvant même pas bénéficier d’un simple dépistage.
Pour s’en convaincre, allez demander aux femmes de Mabanda, Ndougou, Mvadi, Bikondom, Mouyamba ou Pana qui ignorent tout de cet Octobre rose ou, le cas échéant, ce qu’elles en pensent. Vous entendrez leur profonde détresse.
C’est l’autopsie d’une célébration qui n’est qu’un « coup d’épée dans l’eau », et un exemple de la manière dont des sommes astronomiques peuvent être « sorties sans se faire remarquer » ; la « fumée rose couvrant tous les décaissements », peut-on lire sur les réseaux, où la polémique enfle sur l’impact réel des activités initiées pour faire reculer la maladie.
Les malades laissées pour compte : le refus des ordonnances CNAMGS
Le véritable drame se joue dans les hôpitaux et les pharmacies. La prise en charge devient compliquée, car les ordonnances de la Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale (CNAMGS) sont systématiquement rejetées par les officines.
Dans une vidéo émouvante relayée sur les réseaux sociaux, la représentante d’un collectif de personnes vivant avec le cancer interpelle directement les autorités. « Nous allons mourir si vous ne faites rien », déclare-t-elle, soulignant la détresse du groupe. Elle explique que « depuis le mois de septembre, nos médicaments ne sont plus disponibles. Les pharmacies refusent nos ordonnances CNAMGS » parce que, selon leurs dires, « la CNAMGS leur doit beaucoup d’argent ». Ces médicaments, souvent pour des chimiothérapies coûtant des millions, sont « indispensables » pour ces personnes, dont la plupart sont démunies.
Cette situation est d’autant plus inacceptable que l’Institut de cancérologie lui-même fait face à de nombreux manquements. Le plateau technique y est incomplet, et les malades reçoivent leurs traitements « assis sur des chaises en plastique », raconte une citoyenne engagée sur les réseaux sociaux.
L’hypocrisie d’un « buzz inutile »
Face à cette réalité, la militante Pulchérie Ntoutoume Bagnegne, défenseure des personnes atteintes de cancer, dénonce l’hypocrisie de la situation. Elle fustige la priorité donnée au faste et au divertissement. « Octobre Rose pour les publicités, les journées de sport. Octobre Noir pour les malades vivant avec le cancer », martèle-t-elle sur sa page Facebook.
Elle estime que « l’argent des publicités, des tee-shirts, des casquettes, des coaches sportifs, peut sauver la vie des malades».
Cette amertume est partagée par Carnancitha Nguimbi, une autre citoyenne engagée, qui voit son fil d’actualité « saturé de rose, de marches, de fitness et de grandes cérémonies », tandis qu’une autre femme, « seule dans sa chambre, ne voit qu’un plafond blanc ».
Elle dénonce un « système où l’on préfère financer l’image du soin plutôt que le soin lui-même », citant l’exemple d’une patiente au Centre hospitalier régional de Ntchengue, à Port-Gentil, « laissée sans couverture CNAMGS, forcée de quémander un moyen de transport pour Libreville, faute de soins décents ».
Pour elle, « le problème n’est pas le ruban, le problème est la défaillance systémique. » Le constat est clair : la flamboyance des manifestations d’Octobre rose n’est qu’une façade qui dissimule une détresse manifeste et une gestion des fonds détournée de son objectif principal. La lutte contre les cancers féminins est devenue, au Gabon, un spectacle très cher qui ne profite qu’à l’image, et non aux malades.
Et lorsque le ministre de la Santé invite chaque femme à prendre comme repère sa date d’anniversaire pour se dépister, l’impact d’un tel message semble, une nouvelle fois, limité à une catégorie du genre féminin. Plusieurs femmes vivant en zones rurale ou urbaine, face aux difficultés de leurs conditions existentielles, ignorent tout de ce que l’on appelle « l’anniversaire ».




