L’histoire du Gabon retiendra l’ère Ali Bongo, non comme un temps de grandeur, mais comme celui de la lente descente aux enfers d’un État capturé, d’une République vidée de sa substance.
Lorsqu’il accède au pouvoir en 2009, Ali Bongo hérite d’un PDG encore articulé autour de trois courants : caciques, appelistes, rénovateurs. Il s’impose comme le dauphin de la modernité, mais dans l’ombre, le véritable stratège s’appelle André Mba Obame. Ali Bongo l’écarte. Puis viennent les purges : les anciens sont marginalisés, les rénovateurs divisés. Aujourd’hui, la plupart des caciques sont morts, les rénovateurs ont été réduits au silence, et seuls quelques appelistes surnagent. Le PDG devient un vaisseau vide, sans repères, entièrement soumis à la volonté d’un homme.
Mais cet homme est cerné par le soupçon : la question de ses origines nigérianes, jamais dissipée, continue d’empoisonner sa légitimité. Pour y échapper, il s’entoure d’étrangers : une « légion étrangère présidentielle », principalement béninoise, avec Maixent Accrombessi en tête, la famille Oceni et un Somalien, Liban Soleman. Ils ne lui doivent pas fidélité à cause de convictions, mais par nécessité. Leur pouvoir dépend du sien.
Un instrument entre les mains d’Accrombessi
À ce verrouillage politique s’ajoute l’obsession de l’ésotérisme. Ali Bongo, profondément superstitieux, devient un instrument entre les mains d’Accrombessi, réputé initié aux mystères du vaudou. La République n’est plus gouvernée : elle est ensorcelée.
Et c’est dans cette atmosphère viciée qu’éclate la crise de 2016.
Le 27 août, le peuple vote. Jean Ping l’emporte, dit-on ici et là. Mais le pouvoir refuse l’évidence. Il fait bombarder le QG de l’opposant. Il y aura des morts, des blessés, des familles brisées. Le crime d’État est maquillé en continuité républicaine. Ce jour-là, le régime tombe dans l’illégitimité totale.
Deux ans plus tard, le corps dit stop. En octobre 2018, Ali Bongo est frappé par un AVC. L’homme est diminué. Le président de la République est hors-jeu. Une régence familiale s’installe en silence. Sylvia Bongo Valentin prend le contrôle de la République, avec le soutien actif de leur fils, Nourredine éponyme. Ali, lui, n’est plus qu’un prétexte. Tout se décide en famille : sa femme, son enfant et ses amis. Le Gabon est devenu une entreprise privée, dissimulée derrière un fauteuil présidentiel.
C’est alors que s’installe la République parallèle : celle des réseaux sociaux.
Les débats politiques sont remplacés par les conflits numériques. Des influenceurs à gages, des activistes manipulés, des révélations orientées. L’opinion publique devient un champ de bataille. Pendant ce temps, l’économie s’effondre, les institutions s’éteignent, et la jeunesse dérive.
Le 30 août 2023, l’illusion prend fin ou du moins la terreur contre le peuple prend fin. L’armée intervient. Ali Bongo est démis. Mais il n’était déjà plus aux commandes. Depuis cinq ans, le Gabon était gouverné par délégation. Sa chute n’est qu’un aveu officiel d’un abandon ancien.
Mais le plus inquiétant, c’est ce qui se passe depuis.
Libérés de leur détention préventive par d’obscures tractations, Sylvia Bongo et son fils Nourredine tentent de revenir au-devant de la scène, déguisés en victimes. Ils effacent les années de pouvoir personnel, les dérives autoritaires, les manipulations d’État. Ils cherchent à rallier les déçus de la Transition, les anciens complices frustrés, les communicants sans cause.
Mais le peuple gabonais n’est pas amnésique. Il a vu, il sait, il se souvient.
Et dans ce contexte de confusion et d’agitation, le choix de Brice Clotaire Oligui Nguema s’est imposé non par émotion, mais par raison. Il n’est pas l’homme providentiel. Il est l’homme du possible, celui qui incarne un temps de répit, de stabilisation, de reconstruction républicaine. Il n’a pas suscité une ferveur aveugle, mais une espérance lucide. Et cela suffit pour qu’on lui accorde, aujourd’hui, soutien, vigilance et exigence.
Le Gabon ne peut plus reculer. Il ne peut plus se laisser capturer par les fantômes du passé.
Il est temps de désenvoûter la République.
Il est temps de la rendre au peuple.
