Convoqué le 3 septembre 2025 à la Direction générale des recherches (DGR) de la Gendarmerie nationale, Harold Leckat Igassela, directeur de Publication de Gabon Media Time, revient sur les circonstances de son audition. Entre prescription des faits, dépénalisation du délit de presse et incohérence procédurale, il s’interroge sur les véritables motivations d’une affaire qui soulève de sérieuses inquiétudes pour la liberté d’informer au Gabon.
Gabonclic.info : Vous avez été auditionné le 3 septembre 2025 à la DGR. Pouvez-vous nous expliquer dans quel contexte ?
H. Leckat Igassela : j’ai effectivement été convoqué, la veille, dans nos locaux, par trois agents de la DGR. Deux convocations nous ont été remises : l’une à mon nom, en tant que directeur de publication, l’autre à celui de « Casimir Mapiya », un pseudonyme déclaré, conformément à l’article 45 du Code de la communication. Le lendemain, je me suis présenté avec trois avocats. Seul l’un d’entre eux a été autorisé à m’assister durant l’audition.
Dès mon arrivée, j’ai présenté notre organe de presse, Gabon Media Time, qui emploie aujourd’hui une quinzaine de jeunes Gabonais. J’ai rappelé notre sérieux, notre rigueur professionnelle et, surtout, mon étonnement d’être convoqué dans une unité d’investigation judiciaire alors que le délit de presse est dépénalisé au Gabon depuis l’Ordonnance n°00000012/PR/2018 du 23 février 2018.
De quoi s’agit-il concrètement ?
L’affaire porte sur un supposé article publié en janvier 2023, concernant la suspension d’un chef d’établissement à Bakoumba. Le plaignant a brandi une note officielle signée du gouverneur du Haut-Ogooué, Jacques-Denis Tsanga, qui mentionnait clairement cette suspension. Ces faits sont donc avérés, puisqu’ils résultent d’un acte administratif.
Mais ce qui m’a été présenté, c’est un document douteux : un copier-coller affublé du logo de Gabon Media Time et d’un cachet d’huissier. Or, après vérification immédiate, l’article n’existe pas sur notre site internet. Aucune trace n’apparaît dans nos archives.
Si cet article avait existé ?
Même dans cette hypothèse, ce qui n’est pas le cas, l’action serait prescrite. L’article 13 du Code de la communication est très clair : «les actions en diffamation ou injure par voie de presse se prescrivent par trois mois à compter de la publication de l’article querellé ». Or, les faits reprochés remontent à janvier 2023. Nous sommes vingt mois plus tard. Autrement dit, aucune poursuite ne devrait exister aujourd’hui.
Que retenez-vous de cette audition ?
D’abord, une dérive inquiétante. Le procureur de la République a produit un soit-transmis, et les officiers de police ont enquêté sur cette base, alors même qu’il s’agit d’un prétendu délit de presse. C’est une violation du droit en vigueur. Le Code de la communication, en tant que loi spéciale, prime sur le Code pénal. Or, depuis 2018, il n’existe plus de poursuites pénales pour des faits relevant du seul champ journalistique.
Ensuite, j’ai constaté que l’officier m’interrogeait aussi sur notre communiqué de presse annonçant ma convocation. J’ai répondu que nous avons le droit d’informer l’opinion publique sur une procédure qui nous concerne, d’autant plus que nous avons déjà connu, en octobre 2023, une garde à vue arbitraire. Rien n’interdit à un organe de presse de communiquer, surtout pour prévenir d’éventuelles manœuvres.
Quelles propositions faites-vous pour sortir de ces confusions ?
Il faut clarifier, une fois pour toutes, l’application de la dépénalisation. Je propose qu’une circulaire conjointe soit prise par les ministres de la Justice, de la Défense, de l’Intérieur et de la Communication. Cette circulaire doit rappeler à tous les acteurs judiciaires et sécuritaires — OPJ, procureurs, juges, forces de l’ordre — l’état du droit positif en matière de presse.
C’est indispensable pour protéger les journalistes, mais aussi pour éviter que des procédures vides de sens ne viennent discréditer nos institutions.
Un dernier mot ?
Je veux remercier mes confrères journalistes, les organisations patronales de la presse, l’Union internationale de la presse francophone (UPF-Gabon), ainsi que toutes celles et ceux qui, au Gabon comme à l’international, ont exprimé leur soutien.
La liberté de la presse est une conquête démocratique. Elle ne se négocie pas. Elle se protège. Et comme l’a dit le président Brice Clotaire Oligui Nguema, le 3 septembre 2023 : « N’ayez pas peur. La presse c’est le quatrième pouvoir. Faites votre travail, faites-le bien.» Nous le faisons. Nous continuerons à le faire.
