Ainsi parle le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Depuis la révision de la liste électorale en Côte d’Ivoire, en juin 2025, Tidjane Thiam du Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA), Laurent Gbagbo, ancien chef d’Etat et président du Parti des peuples africains-Côte d’Ivoire (PPA-CI), Charles Blé Goudé du Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples (COJEP) et Guillaume Soro de Générations et peuples solidaires (GPS) sont éliminés de la course à la magistrature suprême dans leur pays. Une action judiciaire qui s’assimilerait à un refus d’ouverture pour la présidentielle d’octobre prochain. Même si le parti au pouvoir, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) tente de rassurer la population sur un futur scrutin apaisé, pour plusieurs observateurs de la scène politique ivoirienne, et même ailleurs, cette exclusion pourrait être aussi la pierre d’achoppement d’une nouvelle crise politique, après celle de la décennie 2000-2010. « Les Ivoiriens ont payé un prix trop lourd au cours de la décennie 2000-2010 pour que notre pays retombe, 15 ans plus tard, dans les mêmes travers », estime le président du PDCI-RDA, qui a bien voulu répondre, sans langue de bois, aux questions de notre rédaction dans l’entretien ci-dessous. Lecture.
Gabonclic.info. Monsieur le président, dans deux mois, les Ivoiriens seront appelés à choisir leur futur président de la République. Votre candidature, ainsi que celles d’autres leaders politiques ont été rejetées. Avez-vous un plan B pour contrecarrer les ambitions du président sortant, Alassane Ouattara, qui aspire à un quatrième mandat ?
Tidjane Thiam : je vous remercie pour l’intérêt que vous portez à la situation politique dans mon pays. Permettez-moi de répondre sans ambiguïté à votre question : il n’existe pas de plan B au PDCI-RDA. Notre parti a fait un choix clair, transparent et assumé : je suis le candidat désigné démocratiquement par nos instances, avec 93% de participation et 99.5% des voix. Nous nous en tenons à cela. Quant au 4ème mandat du président Ouattara, il demeure simplement anticonstitutionnel et constitue un recul démocratique pour notre pays.

Ce rejet de vos candidatures préfigure-t-il une nouvelle crise politique après celle de la décennie 2000-2010, d’autant plus que le pouvoir actuel se refuse à tout dialogue ?
C’est précisément ce que nous voulons éviter. Les Ivoiriens ont payé un prix trop lourd au cours de la décennie 2000-2010 pour que notre pays retombe, 15 ans plus tard, dans les mêmes travers. C’est pourquoi l’opposition, de manière responsable, appelle depuis des mois à l’ouverture d’un dialogue franc et inclusif avec le gouvernement. Un tel dialogue aurait pour seul but de garantir une élection transparente, inclusive, crédible et pacifique. Mais face au refus du pouvoir de recourir au dialogue, le risque d’escalade existe bel et bien. C’est pour cela que nous insistons : il est encore temps de changer de cap et de privilégier l’intérêt supérieur de la nation.
Quelle suite a été donnée à la mission de bons offices des anciens présidents ouest-africains à Abidjan, qui a eu à consulter les présidents de partis politiques pour éviter une nouvelle crise post-électorale ?
Cette initiative partait d’une bonne intention et nous saluons, très respectueusement, l’implication des anciens chefs d’État africains qui, mieux que personne, connaissent les menaces que la situation actuelle fait peser sur la stabilité dans notre sous-région. Ils ont tenu à donner l’exemple du dialogue et de l’écoute, et ont rencontré toutes les parties prenantes, en particulier tous les partis d’opposition. Nous ne pouvons que regretter que le gouvernement semble, jusqu’à ce jour, rester sourd à tous ces appels au dialogue et à l’écoute. Malgré l’intervention de ces chefs d’Etat respectables et respectés, les lignes n’ont pas bougé et l’entêtement du pouvoir reste entier. Il est clair, à ce stade, que la solution à notre crise ne viendra pas uniquement de l’extérieur, et qu’il faut que le peuple de Côte- d’Ivoire continue à appeler au dialogue, comme il l’a fait le 9 août dernier à Abidjan.

Selon la télévision nationale ivoirienne (RTI), les militants du Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) continuent de soutenir la candidature d’Alassane Ouattara, mais l’opposition s’y oppose fermement. A quoi peut-on ou doit-on s’attendre ?
Le risque existe toujours quand un pouvoir impose une candidature jugée anticonstitutionnelle par une large partie de la population. Mais notre rôle, en tant qu’opposition responsable, est de canaliser l’expression de ce rejet vers des moyens pacifiques et démocratiques. Nous voulons l’alternance par les urnes. Je le dis à chacune de mes interventions : nous voulons accéder au pouvoir par le bulletin de vote, et non pas par la Kalachnikov, ni la machette, ni le gourdin. C’est pour cela que j’ai mené, en 2024, une campagne couronnée de succès, qui a conduit à l’enrôlement de 943 000 nouveaux électeurs, un accroissement de 12% du corps électoral qui, même après cela, demeure trop faible. Il est dommage que devant cet engouement, le gouvernement, qui se sait largement minoritaire dans le pays aujourd’hui, refuse catégoriquement de tenir l’exercice annuel d’inscription sur les listes qu’exige la loi. Dans ce contexte, nous appelons nos militants et l’ensemble des Ivoiriens à rester mobilisés, mais toujours dans la paix et la discipline, et en rejetant tout recours à la violence.
Plusieurs cadres du plus vieux parti de Côte d’Ivoire, le PDCI-RDA, qui a favorisé l’avènement d’Alassane Ouattara au pouvoir en 2011, sont aujourd’hui membres du RHDP. Quelle est la position de ces anciens militants de votre parti ? Et qu’en pensez-vous ?
Ils ont fait un choix personnel et politique en rejoignant le RHDP. Cela signifie qu’ils n’appartiennent plus au PDCI-RDA et ne participent plus à nos décisions, ni à notre vision. Leur position, dès lors, ne nous engage pas et ne nous concerne pas. Le PDCI- RDA reste uni autour de sa direction et de ses militants, et c’est sur cette base solide que nous continuons notre combat.
L’ancien président Laurent Gbagbo, lors de son meeting à Yopougon le 16 août dernier, déclarait que le président Alassane Ouattara prendrait ses ordres à l’Elysée. Etes-vous de cet avis ?
Ce que j’ai dit, le 7 août dernier, est clair : j’ai interpellé la communauté internationale afin qu’elle écoute la voix des Ivoiriens. Ce peuple dit non à un quatrième mandat ; ce peuple réclame le respect de ses libertés et de ses droits fondamentaux. La communauté internationale ne peut pas rester indifférente à cette réalité.
Le RHDP se réclame de l’idéologie politique de feu président Houphouët-Boigny. Comment peut-il, alors, combattre l’héritage politique de celui-ci ?
Ceux qui se réclament de l’héritage d’Houphouët-Boigny devraient en respecter les principes : dialogue, inclusion, paix et respect de la Constitution. Chacun peut observer le comportement du RHDP et de ses dirigeants aujourd’hui, et tirer ses propres conclusions quant à savoir si leur comportement est houphouëtiste. Comme l’a si bien dit Wole Soyinka, « le tigre ne clame pas sa tigritude » …
Pourquoi une alliance avec le PPA-CI de Laurent Gbagbo, votre ancien adversaire historique ?
Il ne s’agit pas d’une alliance politique idéologique. Il s’agit d’un front républicain autour d’objectifs communs : la défense de la Constitution, la transparence électorale et l’alternance démocratique. Nous restons différents dans nos parcours et dans nos idéologies, c’est clair. Mais nous nous retrouvons sur l’essentiel : éviter une nouvelle crise à la Côte d’Ivoire et protéger la démocratie.
Si la présidentielle a bien lieu le 25 octobre, n’est-ce pas une situation inextricable face à la détermination du RHDP ?
Une élection ne peut pas être crédible si elle est organisée dans l’exclusion et la violation de la Constitution. Le RHDP peut afficher sa détermination, mais la réalité est simple : sans consensus, sans dialogue et sans inclusion, cette élection ne résoudra rien et risque, au contraire, d’aggraver les fractures. La véritable solution est d’ouvrir le jeu politique, pas de le verrouiller.
Vous avez affirmé ne pas avoir de plan B. Comment réagirez-vous si la justice maintient votre exclusion ?
Je n’ai jamais cru aux « plans B » en matière de démocratie. Quand on commence à se préparer à des options de remplacement, cela signifie qu’on accepte déjà l’injustice. Je reste donc constant : je suis le candidat désigné du PDCI-RDA et je continuerai à revendiquer ce droit légitime. Ce n’est pas à la justice instrumentalisée de décider qui peut ou non être candidat, mais au peuple ivoirien de trancher par les urnes.
Croyez-vous réellement, monsieur le président, qu’Alassane Ouattara puisse céder et ouvrir la compétition politique ?
Nous croyons en la force des institutions, en la mobilisation citoyenne et en la pression de l’opinion nationale et internationale. Aucun dirigeant ne peut éternellement ignorer son peuple. Notre exigence est simple et légitime : que le jeu démocratique soit ouvert à tous. C’est une obligation, pas une faveur.
Quel message adressez-vous au peuple ivoirien, particulièrement à vos partisans ?
Je veux leur dire de garder confiance et de rester debout. L’histoire politique nous enseigne que les régimes passent, mais que le peuple demeure. Le temps du changement est en marche. Nous ne devons pas céder au découragement, ni à la peur. Restons mobilisés, pacifiques et confiants, car l’avenir appartient à ceux qui croient en la justice et en la démocratie.
Propos recueillis par Darrelle Mamba.
