À quelques jours de l’ouverture du procès très attendu de Sylvia et Nourredin Bongo, le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Séraphin Akure-Davain, a réuni la haute hiérarchie judiciaire, provoquant une vive polémique. Officiellement justifiée par des raisons logistiques, cette initiative est perçue par de nombreux spécialistes du droit comme une ingérence dangereuse de l’Exécutif, remettant en cause l’impartialité de la justice gabonaise.
Autour du Garde des Sceaux, le 6 novembre, siégeaient l’Inspecteur général des services judiciaires, le Secrétaire permanent du Conseil supérieur de la magistrature, ainsi que les plus hautes figures judiciaires de Libreville : le Premier président de la Cour d’appel, le Procureur général près ladite cour, et surtout le président de la Cour criminelle spécialisée, magistrat directement chargé de présider l’audience du 10 novembre.
Justification : « des correctifs à apporter »
Justifiant cette rencontre, le ministre a affirmé qu’il s’agissait d’assurer le bon déroulement logistique d’un événement hautement médiatisé. « C’est un procès qui sera médiatisé et il m’a paru important de poser la question à ces responsables pour qu’éventuellement à quatre jours de l’audience, s’il y a des correctifs à apporter, que ces correctifs soient là », a-t-il déclaré. Il a tenu à assurer que tout sera mis en œuvre pour une justice rendue « dans la transparence la plus totale ».
Interrogé sur les menaces de boycott formulées par la défense, le ministre de la Justice a maintenu une position ferme. Les avocats français des accusés avaient récemment fait savoir que leurs clients, installés à Londres après leur mise en liberté provisoire pour raison médicales, ne feraient pas le déplacement de Libreville, évoquant l’absence de garantie d’un « procès juste et équitable ». « Qu’ils soient présents ou non, ils seront jugés », a-t-il le ministre Akure-Davain, évoquant ainsi la possibilité d’un jugement par contumace.
Réactions : des frontières « dangereusement brouillées »
Cette réunion a immédiatement soulevé une vague d’indignation dans les milieux du droit et au sein de l’opinion publique. Pour bon nombre d’observateurs, elle constitue une « maladresse de trop » qui confirme les doutes persistants sur l’indépendance de l’appareil judiciaire.
« En convoquant le Premier président de la Cour d’appel, le Procureur général, l’Inspecteur des services judiciaires et même le Bâtonnier dans son cabinet à quatre jours du procès, le ministre brouille dangereusement les frontières entre l’exécutif et le judiciaire », a réagi Peter Stephen Assaghle, docteur en droit, dans une tribune sur les réseaux sociaux.
Le juriste s’interroge également sur la nature des ajustements évoqués par le ministre. « Le fait même que le ministre parle de “correctifs à apporter à quatre jours de l’audience“ est extrêmement problématique : Quels correctifs ? Juridiques ? Organisationnels ? (…) Si c’est judiciaire, alors c’est une violation frontale de l’indépendance du siège », soutient-il.
De son côté, le célèbre caricaturiste Pahé, de son vrai nom Patrick Essono, a résumé l’émoi général sur sa page en s’interrogeant ironiquement : « Que font donc nos magistrats dudit procès chez lui, en son bureau, avant le procès, si la justice est libre, indépendante, dans la séparation des pouvoirs ? »
Cette rencontre a assurément donné « du grain à moudre » aux détracteurs qui doutent de la capacité de la justice à agir de façon libre et indépendante dans cette affaire éminemment politique.
Pour rappel, Sylvia et Nourredin Bongo ont été mis aux arrêts au soir du 30 août 2023, suite au coup d’État militaire qui a mis fin au long règne de la famille Bongo à la tête du Gabon. Après près de deux ans de détention, ils ont bénéficié d’une mise en liberté provisoire. Ils sont accusés, entre autres, de détournement de fonds publics, blanchiment de capitaux, trouble des opérations d’un collège électoral, et usurpation de titre et de fonction. Leur procès s’ouvre ce 10 novembre devant la Cour criminelle spécialisée à Libreville.

