Des rixes filmées aux exclusions massives, jusqu’à l’incarcération de huit élèves à la prison centrale de Libreville : la crise de la violence dans les lycées du Gabon atteint un point de non-retour. Face à cette escalade, le Dr. Darius Enguengh Mintsa, spécialiste en psychopédagogie, lance un avertissement : la prison n’est pas un programme éducatif. Punir par l’incarcération n’est qu’un « pis-aller spectaculaire » qui masque l’échec structurel d’un système éducatif miné par les classes surchargées, les infrastructures délabrées et l’abandon de l’encadrement.
La récente incarcération d’élèves suite à des actes de violence en milieu scolaire a soulevé une question cruciale : la prison est-elle la réponse appropriée à la crise de nos écoles ? En tant que spécialiste, je réponds sans détour : utiliser l’incarcération comme « sanction exemplaire » revient à déplacer le problème sans jamais le résoudre. C’est un pis-aller spectaculaire qui ignore les causes profondes et structurelles de la violence.
La violence, symbole d’un système éducatif à bout de souffle
Pour comprendre cette violence, il faut d’abord reconnaître qu’elle ne surgit pas de manière spontanée. Elle est le symptôme d’un système éducatif à bout de souffle, miné par des dysfonctionnements bien connus et largement documentés :
1. Surcharge des effectifs : des classes de 70 à 80 élèves rendent l’encadrement individualisé impossible, transformant les salles de classe en poudrières sociales.
2. Délabrement des infrastructures : des écoles quelquefois sans eau, sans électricité, mal équipées, qui ne sont plus des lieux d’épanouissement, mais des foyers de tension.
3. Déficit d’encadrement : un personnel éducatif démuni, faute de formation spécifique en gestion de crise, harcèlement ou soutien psychologique, et un manque criant de psychologues ou de médiateurs scolaires.
Face à cette indigence structurelle, il est illusoire de croire qu’une réponse punitive suffira. Punir sans comprendre, exclure sans encadrer, ne fera qu’amplifier le sentiment d’abandon et de stigmatisation de ces jeunes. La prison n’est pas un outil de réinsertion ; elle est un facteur de rupture avec l’école et la société.
Agir en amont : repenser la sanction et miser sur la prévention
Pour aller plus loin dans l’analyse, il faut aussi considérer que les actes de violence les plus graves, ceux qui mènent à l’incarcération, ne sont que la partie émergée d’un iceberg. Ils sont souvent l’aboutissement d’un continuum de violences plus discrètes qui s’installent au quotidien : moqueries, humiliations, bris ou vols d’objets personnels, harcèlement, rejets, etc. En négligeant ces micro-violences, en les ignorant ou en les tolérant, nous laissons le climat scolaire se dégrader. Nous installons des dynamiques de domination et de peur, et nous préparons le terrain aux actes les plus extrêmes. Il est donc impératif d’agir en amont, dès les premiers signes, si l’on veut réellement enrayer la spirale.
Dans cette optique, la question de la sanction mérite d’être repensée. Nous ne nions pas sa pertinence en contexte éducatif, mais elle doit être proportionnée, éducative et s’inscrire dans une politique cohérente de prévention. Il est temps d’investir dans les solutions qui ont fait leurs preuves ailleurs.
C’est pourquoi, au-delà des réactions immédiates, j’appelle le gouvernement à organiser des assises nationales inclusives sur le climat scolaire et la prévention de la violence. Ces assises doivent rassembler l’ensemble des acteurs – élèves, familles, enseignants, chercheurs, ministères concernés – pour élaborer un Plan national clair, fondé sur des données probantes et la littérature scientifique internationale.
L’exemplarité ne doit jamais se faire au détriment de l’avenir. Car un enfant puni sans être écouté est un adulte en rupture demain. Il est de notre responsabilité collective de bâtir une école qui protège, qui éduque et qui répare, non une école qui exclut et qui punit par défaut de compréhension. C’est la seule voie pour garantir l’avenir de notre jeunesse.
Darius Enguengh Mintsa, Ph.D. en psychopédagogie, Spécialiste de la gestion et la prévention de la violence à l’écol
NB : Les intertitres sont de la Rédaction



