Principes fiscaux – Sécurité juridique – Comparaisons internationales – Ma position
I. INTRODUCTION
L’État gabonais a instauré, à compter de 2026, une taxe d’habitation destinée à renforcer la mobilisation des ressources internes. Cette orientation est parfaitement légitime, conforme au principe de souveraineté fiscale et nécessaire à l’amélioration des finances publiques.
Ce mémoire ne conteste ni l’impôt, ni son bien-fondé. En revanche, il s’oppose fermement au mécanisme choisi pour son recouvrement : l’adossement de la taxe d’habitation à la facture d’électricité émise par la SEEG.
Ce mode opératoire, inédit dans sa forme et risqué dans sa nature, soulève de graves questions juridiques, pratiques et constitutionnelles. Il rompt avec les principes de base du droit fiscal, crée une confusion entre créance publique et dette commerciale et expose les contribuables à des sanctions illégales.
L’objectif du présent mémoire est de démontrer, de manière argumentée et documentée, que ce n’est pas l’impôt qui pose problème, mais l’instrument choisi pour le recouvrer, lequel est juridiquement inadmissible.
II. LÉGITIMITÉ DE LA COLLECTE DES RESSOURCES PAR L’ÉTAT : UN PRINCIPE INCONTESTÉ
Il convient de réaffirmer clairement — et sans ambiguïté — que :
L’État détient le pouvoir souverain de créer les impôts ;
la recherche de ressources est un impératif de gouvernance ;
la taxe d’habitation est un outil fiscal classique dans de nombreux pays.
Ainsi, l’objet de la critique ne porte nullement sur la volonté de l’État d’élargir l’assiette fiscale.
Ce point est fondamental : la contestation est exclusivement dirigée contre la méthode, non contre la fiscalité elle-même.
III. UN MÉCANISME INADMISSIBLE : L’ADOSSEMENT À UNE FACTURE COMMERCIALE
A. Nature juridique incompatible
La taxe d’habitation est un impôt public relevant du droit fiscal, du Trésor et des règles de comptabilité publique.
La facture SEEG est une créance commerciale, relevant du droit privé, d’un contrat entre un opérateur et un client. Opposer les deux revient à mélanger deux régimes juridiques incompatibles.
B. Risque de sanction commerciale appliquée à un impôt
La SEEG peut légalement : couper l’électricité, réclamer un paiement immédiat, appliquer des intérêts de retard, suspendre un service.
Mais aucun impôt ne peut être soumis à ces sanctions. L’impôt doit obéir à des procédures publiques, jamais à des mesures commerciales.
C. Confusion inacceptable pour le contribuable
En fusionnant impôt et facture, le contribuable ne sait plus : ce qu’il paye à l’État, ce qu’il paye à l’opérateur, qui est responsable en cas de litige.
Cette confusion viole le principe de lisibilité et de clarté de l’impôt, reconnu dans toutes les doctrines fiscales.
D. Fragilisation du recouvrement par la situation de la SEEG
La SEEG rencontre déjà : des difficultés de gestion, des retards de facturation, des litiges nombreux, des coupures fréquentes.
S’appuyer sur un opérateur fragile pour collecter un impôt crée une insécurité juridique et financière majeure.
IV. RISQUES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELS
A. Atteinte à la séparation entre créance publique et créance privée
Le droit fiscal impose une distinction stricte. La fusion des deux crée une situation juridiquement indéfendable.
B. Atteinte au principe d’égalité devant l’impôt
Les contribuables non raccordés à la SEEG ne seront pas traités de la même manière. Cela crée une rupture d’égalité.
C. Atteinte à la légalité fiscale
Une telle délégation doit : être prévue par une loi précise, définir l’habilitation de l’opérateur, garantir la séparation des flux financiers.Toute imprécision rend le dispositif attaquable.
D. Atteinte à la sécurité juridique
Le contribuable doit pouvoir contester l’impôt devant l’administration fiscale, et non devant un opérateur privé.
V. COMPARAISONS INTERNATIONALES — PRÉCÉDENTS ET JURISPRUDENCES
1. France
Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont rappelé l’obligation de séparer clairement impôt et prestation commerciale.
La redevance télévisuelle a été retirée de la facture EDF précisément pour éviter cette confusion.
2. Sénégal
Le Conseil constitutionnel a rejeté l’idée que SENELEC puisse recouvrer un impôt, considérant que seul un comptable public peut manipuler les fonds fiscaux.
3. Maroc
La Cour des comptes a rappelé en 2018 qu’aucun office d’électricité ne peut recouvrer un impôt national.
4. Côte d’Ivoire
Décision administrative de 2014 : interdiction pour la CIE de collecter d’autres taxes que celles strictement prévues par la loi, pour préserver la séparation des régimes.
Aucun pays ne maintient durablement un tel mécanisme. Partout, il a été rejeté ou abandonné.
VI. EN CONCLUSION : L’IMPÔT EST LÉGITIME, L’ADOSSEMENT NE L’EST PAS
« Nous ne contestons pas l’impôt ; nous contestons la méthode. Ce n’est pas la ressource qui pose problème, c’est le mécanisme d’adossement qui, en raison de son incompatibilité structurelle avec les principes du droit fiscal, ne saurait être admis ».
Cette position est claire, solide, cohérente avec la doctrine et conforme aux standards internationaux.
-L’impôt est légitime ;
-la recherche de ressources par l’État est légitime ;
-mais le mécanisme d’adossement à la facture SEEG est juridiquement inadmissible, car :
-il confond impôt et dette commerciale,
-il expose l’impôt à des sanctions privées,
-il viole la sécurité juridique,
-il menace l’égalité devant l’impôt,
-il place l’État dans une dépendance fragile,
-il est contraire à toutes les jurisprudences comparées.
En conséquence, une réforme du mécanisme de recouvrement est recommandée, afin de préserver : la légalité, la clarté, la transparence, la sécurité juridique, et la confiance des contribuables.
Par ailleurs, au-delà de la justification de la légitimité de la taxe d’habitation, il ressort de son application, la mauvaise calibration de la tarification zonale dans le Grand Libreville,
SECTION : Analyse critique du calibrage zonal dans le Grand Libreville
1. Un zonage brutal et déséquilibré
La grille tarifaire actuellement annoncée — 30 000 FCFA, 20 000 FCFA, puis 1 000 FCFA — crée des écarts si larges qu’elle ne repose sur aucune logique économique ou sociale cohérente.
Le passage de 1 000 → 20 000 → 30 000 est abrupt, sans progressivité, et ne correspond ni :
-à la hiérarchie réelle des revenus,
-à la qualité des services publics fournis,
-à la sociologie complexe du Grand Libreville.
Cette configuration donne l’impression d’un zonage politique et non socio-économique, ce qui compromet l’acceptabilité sociale de la taxe.
2. Une absence évidente de corrélation avec la capacité contributive
Le zonage actuel suppose que :
-les zones à 30 000 FCFA sont occupées par des ménages aisés ;
-les zones à 20 000 FCFA abritent les classes moyennes ;
-et les zones à 1 000 FCFA regroupent les plus modestes.
Or, Libreville est une ville extrêmement hétérogène.
Dans les quartiers classés “chers”, on trouve :
-des retraités à revenus faibles,
-des locataires modestes,
-des familles qui héritent d’un logement mais n’ont pas de revenu élevé.
À l’inverse, des quartiers classés “moyens” abritent :
-des loyers très élevés,
-des ménages à revenus confortables,
-un pouvoir d’achat supérieur à celui de certains habitants des zones “premium”.
Résultat : la taxe frappe injustement de nombreux ménages modestes.
3. Un zonage sans publication de critères
Jusqu’ici, aucune communication publique ne permet de connaître :
-les critères retenus pour classer un quartier en zone à 30 000 FCFA,
-les données statistiques utilisées,
-la méthode de notation des quartiers,
-la base d’évaluation de la “valeur” des zones.
Sans cela, la tarification semble arbitraire, ce qui fragilise son fondement juridique et son acceptabilité. Une réforme fiscale locale doit être prouvée, expliquée, documentée. Ici, le calibrage ressemble à un découpage sans étude socio-économique formelle, ce qui expose la réforme à une contestation potentielle.
4. Une charge disproportionnée sur les classes moyennes
Les ménages des zones à 20 000 FCFA sont les plus fragilisés : ils ne sont ni riches, ni bénéficiaires d’exonérations, et pourtant ils supportent une charge vingt fois supérieure à celle d’un citoyen en zone rurale (1 000 FCFA).
La taxe devient ainsi régressive, ce qui contredit le principe d’équité fiscale.
Effets directs :
-baisse du pouvoir d’achat,
-sentiment d’injustice,
-perception d’un impôt punitif,
-risque élevé d’impayés et de résistance sociale.
5. Une absence de lien avec les services publics réellement fournis
Pour qu’une taxe d’habitation soit légitime, il faut que le contribuable voit la valeur du service rendu. Or, dans plusieurs quartiers classés “hauts” ou “moyens”, les services publics sont :
irréguliers, insuffisants, parfois inexistants (éclairage, voirie, assainissement…).
Il existe donc un décalage flagrant entre le prix payé et le service reçu.
6. Recommandations pour corriger le calibrage
Réduire les écarts entre zones
Proposition de barème plus progressif :
5 000 FCFA,
10 000 FCFA,
15 000 FCFA,
20 000 FCFA maximum.
Introduire une analyse socio-économique réelle
Utiliser :
-le revenu médian par quartier,
-les loyers moyens,
-la densité de services publics,
-le niveau de pauvreté local.
Prévoir un tarif plus fin par type de logement : villas, appartements, maisons simples, constructions précaires.
Créer un filet social automatique
Exonérations pour : retraités, personnes handicapées, veuves, ménages très modestes.
Publier officiellement le référentiel de zonage
Cela redonne : transparence, légitimité, confiance des citoyens.
Le tarif zonal actuel du Grand Libreville est mal calibré, excessif dans ses écarts, et ne reflète ni la structure réelle des revenus, ni la sociologie des quartiers, ni le niveau des services publics.
Une révision technique urgente s’impose pour éviter une taxe ressentie comme injuste, arbitraire et socialement explosive pour les futurs gouvernants
Arthur N’DOUNGOU
Citoyen gabonais

