La création de la taxe forfaitaire d’habitation (TFH), telle qu’initiée, soulève une interrogation centrale : la conformité institutionnelle suffit-elle à légitimer une mesure fiscalement sensible dans un contexte social dégradé ?
Sur le plan strictement juridique, le recours au Parlement est conforme au principe de légalité de l’impôt. Sur les plans politique, démocratique et social, en revanche, la démarche apparaît plus fragile et comporte des risques non négligeables pour la confiance publique.
I. Une mesure juridiquement régulière, mais politiquement exposée
1. La normalité institutionnelle
Le Parlement est constitutionnellement compétent pour créer, modifier ou supprimer un impôt. Le renvoi d’une mesure fiscale sensible devant les représentants de la Nation respecte donc l’orthodoxie constitutionnelle et le principe du débat parlementaire.
2. Une responsabilité politiquement diluée
Toutefois, lorsqu’une taxe est perçue comme socialement impopulaire, son transfert au Parlement peut être interprété comme une dilution de la responsabilité politique de l’Exécutif, particulièrement dans un contexte de tensions sociales et d’érosion du pouvoir d’achat. Cette perception fragilise l’adhésion citoyenne, même lorsque la procédure est régulière.
II. Une inopportunité sociale manifeste
1. Un pouvoir d’achat structurellement affaibli
L’inflation persistante sur les produits de base, la hausse des coûts de transport et le poids des loyers ont considérablement réduit la capacité contributive réelle des ménages gabonais, notamment en milieu urbain. L’introduction d’un impôt forfaitaire, par définition déconnecté des revenus, revient à imposer indistinctement des ménages aux situations économiques profondément inégales.
2. Des services publics insuffisamment améliorés
Le consentement à l’impôt repose sur la perception d’un retour tangible :
* Coupures récurrentes d’électricité ;
* Accès irrégulier à l’eau ;
* Faiblesse visible des investissements dans les services essentiels.
Dans ce contexte, demander un effort fiscal supplémentaire sans amélioration perceptible des prestations publiques compromet gravement l’acceptabilité de la mesure.
3. Une absence de pédagogie fiscale
Aucune communication structurée n’a accompagné la réforme : ni étude d’impact publiée, ni estimation claire des recettes attendues, ni affectation précise des fonds collectés. Cette carence nourrit la défiance et affaiblit la légitimité sociale de la TFH.
III. Une architecture fiscale techniquement et administrativement contestable
1. Le choix du forfait : une option régressive
Les standards contemporains de fiscalité locale privilégient des critères objectifs : valeur locative, surface, zone, voire revenus. Le forfait uniforme est reconnu comme socialement régressif, car il pèse proportionnellement plus lourd sur les ménages modestes.
2. Un adossement problématique à la facture SEEG
La facture d’eau et d’électricité supporte déjà plusieurs redevances. Y adosser une taxe d’habitation soulève trois difficultés majeures :
* Confusion juridique entre redevance et impôt ;
* Atteinte au consentement à l’impôt, le citoyen ne pouvant dissocier consommation et fiscalité ;
* Risque de sanctions disproportionnées, notamment la coupure de services essentiels pour un litige fiscal. Ce mode de recouvrement est contraire aux bonnes pratiques internationales en matière de fiscalité locale.
IV. Une fragilité juridique réelle
1. Atteinte au principe d’égalité devant l’impôt
Un ménage modeste supporte la même charge qu’un foyer aisé ; un logement précaire est traité comme une résidence de haut standing. Cette absence de proportionnalité constitue une rupture manifeste du principe constitutionnel d’égalité fiscale.
2. Flou sur la compétence fiscale
La fiscalité liée à l’habitation relève traditionnellement des collectivités locales. Une taxe nationale mal articulée avec les compétences municipales pourrait soulever un contentieux constitutionnel.
3. Procédure insuffisamment transparente
L’introduction rapide de la TFH, sans débat public approfondi ni information préalable des citoyens, fragilise la régularité démocratique du processus.
V. Un rendement budgétaire marginal au regard des enjeux
Les données budgétaires 2025–2026 montrent un budget national dépassant 6 300 milliards FCFA, avec des investissements publics massifs. Dans cette configuration, le produit potentiel de la TFH reste marginal, sauf à alourdir excessivement la charge pesant sur les ménages.
Les véritables gisements financiers se situent ailleurs :
* Rationalisation des dépenses publiques ;
* Lutte contre l’évasion fiscale ;
* Recouvrement des impôts impayés ;
* Valorisation du patrimoine public ;
* Modernisation de la gestion financière (digitalisation).
Conclusion
La taxe forfaitaire d’habitation, telle qu’actuellement conçue, apparaît socialement inadaptée, techniquement discutable, juridiquement fragile, administrativement maladroite et politiquement risquée.
Toute fiscalité repose sur un pacte implicite entre l’État et le citoyen, fondé sur la justice, la transparence et la proportionnalité. En l’absence de ces garanties, une réforme fiscale peut être légalement adoptée sans être durablement acceptée.
Une révision profonde de la TFH n’est donc pas une option politique : elle constitue une nécessité institutionnelle pour préserver la cohésion sociale et la crédibilité de l’action publique.
Arthur N’Doungou, Citoyen gabonais

