Le monde de la finance a un pouvoir immense, et les agences de notation internationales en sont la preuve. Dans une tribune sans concession, l’économiste Willy Giscard Ontsia lance une accusation explosive : la « mal-notation » systémique de l’Afrique par ces agences n’est pas un accident, mais un frein délibéré à son développement. L’auteur dénonce un système qui pénalise les économies africaines, les poussant vers le surendettement et les institutions financières occidentales.
Les agences de notation (Moody’s, S&P, Fitch) sont des institutions financières qui évaluent essentiellement le risque de solvabilité des entreprises, des Etats ou des collectivités locales, c’est-à-dire le risque de non-remboursement des dettes que présente l’emprunteur.
S’agissant des Etats-nations, les agences financières internationales effectuent une analyse approfondie de l’environnement politique, sociale, économique, financière et monétaire pour apprécier la solidité financière ou l’insolvabilité potentielle d’un Etat à qui elles attribuent une notation, sur une échelle allant de AAA à D.
La note affectée à un Etat par les agences de notation financière influence le coût de l’emprunt et impacte la confiance des marchés financiers, de telle sorte qu’une bonne note (AAA) permet d’emprunter à des conditions favorables, tandis qu’une mauvaise note (BBB ou CCC ou D) augmente le coût d’emprunt (taux d’intérêt) et la méfiance des investisseurs.
Les trois grandes agences de notation qui dominent le secteur, influençant profondément les marchés et les politiques économiques à l’échelle internationales, ont des entreprises privées occidentales essentiellement basées aux Etats-Unis.
Ces agences financières occidentales (qui ont souvent une vision tronquée de l’Afrique) sont de plus en plus accusées de faire preuve d’impartialité vis-à-vis des pays africains qui sont, systématiquement, sous-notés avec des évaluations souvent empreintes de subjectivités car, déconnectées de certaines réalités propres à l’Afrique, parfois par manque de données locales actualisées.
A ce propos, plusieurs études récentes relèvent que la mal-notation quasi-systématique des agences financières internationales vis-à-vis des pays africains a eu pour conséquence de :
- Favoriser le surendettement rapide des Etats africains par l’application de taux d’intérêts d’emprunt prohibitifs sur les marchés financiers. Ce qui exerce des tensions de trésorerie et une pression considérable sur les finances publiques ;
- Limiter la capacité de levée de fonds massive des pays africains sur les marchés financiers pour minorer la formation brute de capital fixe en Afrique, via un système de notation et de taux d’intérêts toxiques appliqués aux opérations d’emprunt des Etats africains ;
- Freiner la croissance et le développement économique du continent africain, en multipliant les barrières à l’entrée des marchés financiers internationaux, notamment via un système de rating international, qui a tendance à discriminer les pays en développement d’Afrique subsahariens.
Au final, la mal-notation institutionnalisée des agences financières internationales à l’encontre des pays africains ressort aujourd’hui, pour de nombreux experts africains, comme étant une des principales barrières à l’accès des Etats africains aux marchés financiers internationaux. Une manière pour l’Occident de verrouiller les marchés de capitaux internationaux, de telle sorte que les pays africains n’aient comme unique alternative que de recourir au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale.
En effet, comment expliquer que la quasi-totalité des pays africains soient sous-notés (B, C et D) et confrontés à des taux d’intérêts mortifères, alors qu’ils disposent d’immenses gisements de matières premières (or, manganèse, uranium, terres rares, etc.) qui constituent des actifs tangibles qui peuvent servir de garantie de crédit ?
Comment expliquer que de nombreux pays européens, qui ont des indicateurs économiques très compris, continuent de bénéficier d’une notation de triple A, pendant que certaines économies avancées d’Afrique sont maintenues dans la case des pays à risques ?
Pour remédier à cette distorsion, l’Union Africaine prévoit de soutenir la création, par les acteurs privés africains, de l’Agence africaine de notation de crédit (AfCRA) dont les activités sont censées démarrer au dernier trimestre de l’année 2025.
Willy Giscard Ontsia
Analyste financier, économiste et banquier de formation,
Ex-directeur général de la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (BVMAC),
Ancien cadre du Groupe BGFIBank,
Ancien conseiller financier du ministre du Budget et des Comptes publics.